lundi 1 avril 2013

Gaspard de la Nuit - L'Alchimiste


L’ALCHIMISTE



Nostre art s’aprent en deux manières, c’est à savoir par enseignement d’un maistre, bouche à bouche, et non autrement, ou par inspiration et révélation divines ; ou bien par les livres, lesquels sont moult obscurs et embrouillez ; et pour en iceux trouver accordance et vérité moult convient estre subtil, patient, studieux et vigilant.

La Clef des secrets de filosophie
de Pierre Vicot.


   Rien encore !  Et vainement ai-je feuilleté pendant trois jours et trois nuits, aux blafardes lueurs de la lampe, les livres hermétiques de Raymond Lulle !

   Non rien, si ce n’est avec le sifflement de la cornue étincelante, les rires moqueurs d’un salamandre qui se fait un jeu de troubler mes méditations.

   Tantôt il attache un pétard à un poil de ma barbe, tantôt il me décoche de son arbalète un trait de feu dans mon manteau.

   Ou bien fourbit-il son armure, c’est alors la cendre du fourneau qu’il souffle sur les pages de mon formulaire et sur l’encre de mon écritoire.

   Et la cornue, toujours plus étincelante, siffle le même air que le diable, quand Saint Eloy lui tenailla le nez dans sa forge.

   Mais rien encore ! – Et pendant trois autres jours et trois autres nuits, je feuilletterai, aux blafardes lueurs de la lampe, les livres hermétiques de Raymond Lulle !



David Teniers (1610 - 1690)


   Ce sera notre dernier texte issu de L’École flamande. Le Catalan Raymond Lulle (né dans les années 1230 et mort en 1315) aurait pu rester fameux comme poète, théologien, philosophe ; il le sera surtout en tant qu’auteur de nombreux traités d’alchimie qu’il n’a jamais écrits (de même que Nicolas Flamel ne fut manifestement rien de plus qu’un riche et respectable bourgeois de Paris). Quant à Pierre Vicot, s’il fut peut-être véritablement alchimiste, sa biographie est suprêmement obscure.

   « Un salamandre », à la deuxième strophe, n’est pas une erreur ; il s’agit d’un esprit lié au feu. L’édition du Livre de poche indique que de tels êtres sont décrits dans Le Comte de Gabalis de l’abbé Nicolas de Montfaucon de Villars.

   Saint Éloi (en bon romantique, Bertrand écrit Éloy), patron des forgerons, reçut un jour dans sa forge  la visite du Diable ayant pris la semblance d’une femme. Mais comme on ne la lui faisait pas, à saint Éloi, il l’a reconnu et lui a pincé le nez de ses tenailles.

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